Article extrait du numéro 5 de 1930 des Cahiers du Bolchevisme, revue théorique du Parti Communiste Français.
Du point de vue du matérialisme historique, qui est le nôtre, la religion est le produit des relations sociales. Elle est un des aspects de la conscience collective, produit et reflet du régime social et, en dernière analyse, du mode de production.
L’histoire des religions nous montre que le changement des rapports de production a déterminé le changement des formes de la religion. Quand sur la surface du globe il n’y eut que des tribus errantes, avec leurs chefs et leurs princes, on trouve une multiplicité de dieux; mais quand apparaît l’Etat unifié, avec un monarque à sa tête, la hiérarchie céleste se centralise également, un Dieu unique apparaît, aussi tout-puissant et aussi despotique que le roi terrestre. Partout où s’établissent des rapports de maître à esclave, la religion reproduit ces rapports. Le diable, les démons, les “princes des ténèbres” ne sont que la représentation des “forces subversives” qui minent l’autorité de l’Etat.
Comme l’a dit Marx, “le monde religieux n’est que le reflet du monde réel”. Engels, dans une page fameuse de l’Anti-Dühring, a mis à jour les racines sociales de la religion. la religion, écrit-il, n’est que le reflet fantastique, dans l’esprit des hommes, des forces extérieures auxquelles ils sont assujettis dans leur vie quotidienne, — un reflet où ces formes terrestres revêtent l’aspect de forces surnaturelles.
La religion est l’expression de l’exploitation d’une classe par une autre classe. La crainte devant les forces mystérieuses de la nature a suscité les religions antiques: la crainte devant la puissance menaçante du capital alimente les religions modernes. Supprimez le capitalisme vous supprimerez par là-même le terrain qui permet à la religion de subsister.
La lutte abstraite des démocrates bourgeois contre la religion n’est qu’un combat sans portée contre des moulins à vent. Si l’on veut décrasser les cerveaux, il faut extirper le capitalisme.
Nos camarades russes ont porté, le 25 Octobre 1917, le coup mortel à la religion. En anéantissant la société capitaliste, ils ont enlevé à la religion sa base matérielle. La religion en URSS ne vit que dans la mesure où subsistent encore les vestiges du capitalisme.
L’agonie de la religion en URSS
Cependant, au cours de la période transitoire qui verra s’établir peu à peu le socialisme, la religion dépérit de plus en plus.
Les transformations profondes qui s’effectuent dans l’économie de l’Union Soviétique s’accompagnent d’un revirement immense dans l’idéologie des larges masses populaires.
Chaque année le poids spécifique des éléments capitalistes est en régression en URSS alors que celui des éléments socialistes s’accroît de façon impétueuse. C’est ainsi qu’une des sources alimentant la religiosité, — l’exploitation d’une classe par l’autre, — se tarit rapidement et définitivement.
L’individualisme social, si caractéristique pour l’ère capitaliste, est une autre source de l’esprit religieux. Le petit bourgeois représente une unité sociale isolée, soumise aux fluctuations du marché. La crainte perpétuelle de la ruine, la certitude de ne pouvoir compter sur aucune aide, poussent le petit propriétaire à chercher son salut dans la “providence”. Dans la société capitaliste, où tout est “hasard”, où tout est jeu, il est naturel que chaque joueur veuille mettre toutes les chances de gain de son côté et s’assurer la protection divine en rééditant à son profit le pari de Pascal.
La situation du petit producteur, qui forme la grande masse rurale, subit aujourd’hui en Union Soviétique un changement radical grâce à la collectivisation. S’il arrive un malheur à un membre d’une économie collective, l’aide collective lui est assurée. Il n’a plus à craindre les coups du destin: l’idée d’invoquer le secours divin ne lui viendra plus, il n’a plus besoin de Dieu, il n’a besoin que des hommes.
Le chômage et la misère, autres sources de l’esprit religieux, sont efficacement combattus en Union Soviétique. L’accroissement de l’industrie, qui promet d’atteindre au moins 50% en 1930-31, aura pour conséquence une élévation extrêmement rapide du niveau de vie des masses laborieuses.
Le pape, héritier d’un long passé de boue et de sang, et la prêtraille de tous les pays peuvent dénoncer les “persécutions” religieuses en URSS. A ces descendants des inquisiteurs, à ces assassins qui ont martyrisé plus de 10 millions “d’hérétiques” (cf. Haeckel), à ces massacreurs d’indigènes coloniaux, nous, marxistes militants, répondons :
Il n’y a pas de persécutions religieuses en URSS. Nous vous laissons les cachots, l’in pace, l’échafaud, les bûchers. Ce sont là vos armes habituelles. Nous détruisons autrement la religion. Nous détruisons la religions par l’Octobre Rouge, par l’abolition du capitalisme, par l’édification socialiste rationnelle, par le passage de millions d’entreprises paysannes individuelles dans les économies collectives, par le développement de la grande industrie socialiste, par la lutte contre la misère, l’obscurantisme et le chômage.
La dictature du prolétariat n’a pas besoin de persécutions contre l’Eglise. Elle ferme les sources économiques et sociales qui alimentent la religion et la religion meurt alors, faute d’aliment.
Il fut un temps où la bourgeoisie, dressée contre le régime féodal, était éprise de révolution et de “lumières”. Par la plume de Voltaire, de Diderot, de d’Alembert, d’Helvétius, elle combattait avec véhémence la religion et ne vénérait que la science.
Aujourd’hui la bourgeoisie dégénérée et agonisante proclame la “faillite de la science”, appuie ses pas chancelants sur la béquille du dogme religieux et s’efforce à tout prix, pour se sauver, d’arrêter la marche du progrès.
L’Amérique des Ford et des Rockfeller, la main sur la Bible, exécute Sacco et Vanzetti en même temps qu’elle enchaîne Darwin. Désormais, la prison punira celui qui prétendra que l’homme descend du singe. Le capitalisme à son apogée nous plonge en pleine régression intellectuelle.
L’Union Soviétique est le seul pays où la science occupe la place qui lui est due, — la première, — et où la religion est méprisée.
La contre-révolution religieuse en URSS et sa répression
Par le décret du 23 janvier 1918 sur la séparation de l’Église et de l’Etat, le gouvernement soviétique a assuré à tous les citoyens une entière liberté de conscience, y compris le droit pour les croyants de professer une religion.
Il n’est pas d’État capitaliste assurant une liberté de conscience pratiquement aussi complète.
Les véritables atteintes à la liberté de conscience, les véritables persécutions religieuses, il ne faut pas les chercher en Union Soviétique. On les trouve dans les Etats capitalistes, aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne où sont appliquées les lois sur le “blasphème”, en Pologne où l’on persécute les juifs.
A la question des représentants de la presse: “Est-il vrai que les prêtres et les fidèles sont poursuivis pour leurs convictions religieuses?” les dignitaires de l’Eglise orthodoxe en URSS ont répondu: “Le gouvernement des Soviets exerce des répressions contre les fidèles et les ministres du culte non en raison de leurs convictions religieuses, mais selon les lois en vigueur pour tous les citoyens coupables d’actes anti-gouvernementaux. Il faut avouer que le malheur de l’Eglise est d’avoir contracté, dans le passé, comme chacun le sait, une alliance trop étroite avec le régime monarchique.”
Le Saint Synode a toujours été le bourreau des ouvriers révolutionnaires et le plus ferme soutien du tsarisme. Au cours de la révolution, l’Église a farouchement combattu aux côtés des blancs. Elle s’est mise au service des états-majors capitalistes, elle a fomenté dans toute la Russie de vastes complots. Douze ans de dictature prolétarienne ne l’ont pas assagie, n’ont pas épuisé sa fureur antisoviétique.
En octobre 1929, l’attention du gouvernement des Soviets fut attirée par une organisation contre-révolutionnaire qui, sous le couvert de la religion, prêchait la lutte contre les Soviets. Les imiaslavtsy, c’était le nom qu’ils s’étaient donné, annonçaient la fin prochaine du pouvoir soviétique, l’arrivée de troupes blanches et de descentes étrangères qui allaient écraser les Soviets. Les membres de cette organisation devaient s’engager sous la foi du serment à ne pas servir dans l’armée rouge, à ne pas devenir membres des coopératives, à ne pas payer les impôts, à prendre part au renversement du pouvoir soviétique et à son remplacement par la monarchie.
Les feodorovsy furent une autre secte religieuse composée d’anciens gendarmes, d’anciens gardes blancs, de koulaks et d’autres éléments de ce genre. Les feodorovsy enseignaient que le pouvoir soviétique était le pouvoir de “l’antéchrist” et que Dieu enverrait bientôt l’armée blanche pour exterminer les Soviets. Ils s’élevaient contre toutes les entreprises du pouvoir soviétique, contre l’organisation des exploitations collectives, contre les tracteurs, contre la coopération, contre les écoles, les impôts, etc. Ils incendiaient les chaumières des paysans qui refusaient d’adhérer à leur secte.
Les feodorovsy furent jugés et condamnés en novembre 1929, non pour leurs convictions religieuses mais pour leur activité contre-révolutionnaire.
Parfois, le clergé se met au service des états-majors des Etats capitalistes, comme ce fut le cas pour l’évêque Skalski, jugé en février 1928 à Moscou; bien que se considérant citoyen de l’URSS, l’évêque faisait de l’espionnage pour le compte de la Pologne.
Dans tous les domaines de l’édification socialiste, l’Eglise agit comme une force hostile. Les prêtres, dans l’Oural, pour empêcher l’organisation des kolkhoz, ont menacé les paysannes de ne pas baptiser les enfants de ceux qui y entreraient, de ne pas enterrer leurs morts. En certains endroits ils ont si bien réussi à influencer les femmes arriérées qu’elles ont obligé leur mari à quitter les kolkhoz.
Ailleurs, les prêtres proclament que “celui qui entre dans un kolkhoz fait la même chose que s’il crucifiait le Christ”.
Ainsi l’Eglise marche avec les éléments capitalistes des villes et des campagnes pour saboter l’organisation de la société nouvelle. Une action déclarée contre le socialisme ne trouverait aucun écho dans les masses laborieuses les plus arriérées de la population soviétique. Mais une action pour la défense de la religion a encore quelques chances d’être acceptée par certains éléments peu éclairés de la population rurale. Aussi le koulak combat-il le socialisme et la collectivisation en prenant prétexte de la religion.
Tous ces efforts resteront vains.
L’Eglise s’est soudée organiquement avec l’absolutisme, avec le régime des propriétaires fonciers et des capitalistes. Elle a servi d’arme et de bouclier aux exploiteurs. Mais ceux-ci ont été anéantis par le prolétariat, et l’Eglise périra comme ils ont péri.
La lutte contre la religion, c’est la lutte pour le socialisme
Cet anéantissement prochain de la religion, tout le présage. La révolution culturelle va de pair avec les changements profonds survenus dans toute l’économie soviétique. Le tracteur qui permet la collectivisation est à la fois le fossoyeur de la religion.
Les masses paysannes s’émancipent de plus en plus de l’opium religieux. Dans l’industrie, la semaine de travail ininterrompue, en supprimant les dimanches et les fêtes religieuses, a porté un coup nouveau et efficace à la religion.
L’athéisme militant est devenu, au cours des derniers mois, un mouvement de masses. On ferme les églises, non pas, comme le prétendent les gens d’église de tous les pays, sur l’initiative des autorités mais conformément au désir de la population. Dans des centaines de villages, les églises, fermées à la suite d’une décision de la population locale, sont transformées en école, en hôpital, en club ouvrier, ou bien, comme au village de Borodine, en moulin mécanique et en maison de culture socialiste, avec salles de lecture, bibliothèque et cinéma.
Dès que l’analphabétisme est liquidé, dès que progresse la collectivisation, la question de la fermeture des églises est mise à l’ordre du jour. Les travailleurs de l’URSS se convainquent que sans Dieu on peut organiser une vie meilleure et ils l’organisent.
Dans les kolkhoz aussi bien que dans les villes se dessine un vaste mouvement pour la sortie des communautés religieuses, pour la fermeture des églises et leur transformation.
Les masses paysannes se libèrent de plus en plus de l’opium rela transfiguration par une journée d’industrialisation. Le jour de Noël, les ouvriers travaillent comme à l’ordinaire, préférant prendre un autre jour comme journée de repos.
De nombreuses villes décident, sur l’initiative de la population, d’enlever les cloches de toutes les églises et de les verser au fonds d’industrialisation. c’est ce qu’ont fait Samara, Kherson, Krasnoiarsk, Kharkov, Kalouga, Arkhangelsk, Briansk, Artemovsk, Oulianovsk, Tver. “Que les tracteurs fassent leur entrée dans notre village et remplacent les cloches!” déclare une résolution des paysans de Lissaia Gora. Dans la seule région d’Odessa, 100 villages se sont déclarés athées et ont rompu toute relations avec l’Eglise.
Dans les monastères et maisons qui appartenaient aux églises et qui furent fermés au début de la révolution, on a installé 48 sanatoriums, 168 établissements d’assistance publique, 197 écoles, 349 établissements sanitaires, 2 maisons d’accouchement, etc.
En 1925 s’est fondée la Société des Athées de l’Union Soviétique, sur l’initiative de nombreux cercles antireligieux et de sciences naturelles qui existaient à cette époque.
La Société des Athées, qui compte aujourd’hui plus de 2 millions de membres (50% d’ouvriers, 30% de paysans, 20% d’écoliers et d’intellectuels), est une organisation entièrement indépendante de l’État sociétique. N’étant pas investie de droits administratifs, elle ne peut fermer les églises. La Société se donne pour but de combattre la religion en tant que force réactionnaire, qui entrave l’édification du socialisme. Mais cette action, elle la poursuit exclusivement par des méthodes d’agitation et de propagande, en éclairant et en organisant les masses.
Le journal l’Athée tire 350.000 exemplaires. Les brochures éditées pour Noël ont été diffusées au nombre de 2.500.000 exemplaires.
La Société des Athées ne mène pas seulement une propagande antireligieuse. Elle est à la fois un détachement avancé du prolétariat qui prend une part active à toutes les campagnes politiques et sociales (stockage des céréales, semailles, collectivisation, etc.).
De nombreuses cellules d’athées ont organisé des cours d’illettrés. La Société a ouvert des cours spéciaux dans les universités ouvrières et paysannes. Elle tient régulièrement des congrès. Elle vient de créer un Institut d’athéisme à Kharkov. Elle est devenue ainsi l’un des plus actifs combattants pour l’émancipation des esprits et pour l’édification du socialisme.
Face aux émanations maudites du passé, face à la puissance des ténèbres, se dressent les athées, hier encore une poignée, mais qui ont aujourd’hui derrière eux les innombrables masses laborieuses poussées à l’athéisme par la marche triomphante de la Révolution.
Une lutte sans merci se déroule en Union Soviétique entre les vestiges empoisonnés du passé et les forces neuves de l’avenir. Le printemps socialiste éclate de toute parts, et l’issue de cette lutte ne saurait être douteuse.