A PROPOS DU SIONISME ET DE L’ANTISÉMITISME

(Article extrait du n°2 des Cahiers du Communisme de 1953, écrit par Annie Besse)

La question juive ne peut être éclairée dans son fond que par une analyse théorique marxiste-léniniste.

Quel est le chaînon qui doit permettre d’analyser correctement la question juive et d’en trouver la bonne solution ? Le chaînon qu’il ne faut à aucun moment lâcher, c’est celui qui constitue le moteur de l’histoire : la lutte de classe.

Chaque fois qu’on s’écarte des positions de classe dans l’analyse de la question juive, on tombe dans l’idéalisme, dans le nationalisme bourgeois. Chaque fois qu’on part d’un autre point de vue que le point de vue de classe, on s’enfonce dans le marais social-démocrate. C’est ce qui est arrivé à ceux que Lénine et Staline ont cruellement raillés : aux Bauer et Cie. C’est ce qui arrive, — mais ils en sont parfaitement conscients et c’est un choix délibéré pour eux — aux « théoriciens » social-démocrates d’aujourd’hui.

Il convient d’affirmer avec force au départ l’existence, chez les Juifs, comme dans tous les groupements sociaux, de différenciations de classe. Parler de « ploutocratie juive », selon la terminologie hitlérienne, c’est tenter de faire croire que tous les Juifs sont de gros capitalistes. Mais c’est un mensonge socialdémocrate que de nier qu’il y ait des exploiteurs juifs. La vérité objective, c’est qu’il y a des Juifs riches et des Juifs pauvres. Il y a des bourgeois juifs et il y a des prolétaires juifs. En France, le nom de Rothschild est le symbole de la bourgeoisie d’origine juive. Le nom de Manouchian, tombé héroïquement dans le combat contre l’envahisseur nazi, est le symbole du prolétariat d’origine juive.

Comment s’est développée, parmi les communautés juives, cette différenciation en classes, il n’est pas possible, dans le cadre de cet article, de le retracer. Il suffit de tirer les conséquences de cet état de fait : les bourgeois d’origine juive se placent tout naturellement sur les positions idéologiques et politiques de la bourgeoisie; les ouvriers d’origine juive doivent nécessairement se placer sur les positions idéologiques et politiques de la classe ouvrière. Voilà pourquoi les bourgeois d’origine juive furent, comme toute la bourgeoisie réactionnaire, antidreyfusards à l’époque de l’Affaire Dreyfus. Voilà pourquoi, les bourgeois d’origine juive ont aidé Hitler, parce que, comme tous les bourgeois, ils préféraient Hitler au Front Populaire. La banque d’investissement Dillon Read consentit à l’industrie lourde allemande des prêts considérables qui permirent au Reich de développer son potentiel de guerre.

Pierre Hervé, dans Ce Soir, pouvait écrire ; « Si aujourd’hui Clarence Douglas Dillon est nommé par Eisenhower ambassadeur à Paris, c’est que John Foster Dulles, son secrétaire d’Etat, n’a rien oublié de son travail en commun avec Dillon Read pour le relèvement de la Ruhr et c’est en souvenir des années 1933 qu’il a fait choisir M. Dillon. »

Voilà pourquoi, en revanche, Hitler s’est gardé de faire du trop de mal aux Juifs de la grande bourgeoisie. C’est en effet l’un des aspects les plus odieux des persécutions hitlériennes en France : alors que des milliers de petites gens d’origine juive étaient massacrés et brûlés, les grands bourgeois juifs obtenaient tous les passeports et visas nécessaires pour se rendre, eux et leurs capitaux, en Amérique, ou même se mettaient à la disposition des nazis pour organiser les rafles et les déportations de Juifs.

C’est la sinistre besogne accomplie par « l’Union Générale des Israélites de France » (U.G.I.F.), mise sur pied pour le compte de la Gestapo, par des hommes liés à la haute finance. Qui oubliera jamais que Léon Blum, des fenêtres de sa villa, aux côtés de sa femme, contemplait la fumée des fours crématoires !

Voilà pourquoi encore, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie, des bourgeois juifs ont agi comme n’importe quel bourgeois, par haine de classe, quand ils ont fui ou quand ils ont conspiré contre le régime populaire. C’est ce que reconnaît le millionnaire Otto Sling. C’est ce qu’avoue Otto Fischl, qui, vice-ministre des Finances du gouvernement démocratique tchèque, s’employait surtout à faire passer à l’étranger les grosses fortunes : par exemple, à payer, sous couvert de vente de charbon en Italie, 15 millions et demi de couronnes à l’émigré Guttman, ancien propriétaire des mines de charbon d’Ostrawa.

Voilà pourquoi, aujourd’hui, en France, les bourgeois d’origine juive font comme toute la bourgeoisie ; ils trahissent la nation et se rendent, pour leurs intérêts de classe, complices de l’impérialisme américain. Par exemple, l’actuel président du Conseil René Mayer se choisit pour ministre Boutemy, un assassin de patriotes, dont la dernière victime était d’origine juive. Par exemple encore, R. Cassin, vice-président du Conseil d’Etat, soutient de toute son autorité de président de l’Alliance Israélite Universelle les pourparlers entre Bonn et Israël, dans la mesure où ces pourparlers aident les desseins impérialistes concernant le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest.

Inversement, les ouvriers d’origine juive ont soutenu le Front Populaire, combattu Hitler et luttent aujourd’hui pour la paix et, comme en témoigne le livre des héros, Lettres de fusillés, Henri Bajtsztok et Léon Goldberg ont crié à leurs derniers instants : « Vive la France ». avec tous leurs camarades.

De la différenciation en classes opposées des Juifs, résulte ce fait fondamental : les ouvriers d’origine juive sont solidaires de tous les ouvriers du monde entier; les bourgeois d’origine juive sont solidaires de tous les bourgeois du monde entier.

La conception communiste est donc claire ; l’internationalisme prolétarien anime tous les ouvriers, juifs ou non; le cosmopolitisme bourgeois anime tous les bourgeois, juifs ou non.

Or, cette conception communiste, conforme à la thèse essentielle des fondateurs de la science marxiste sur la communauté des intérêts de classe des prolétaires des diverses nations et des diverses races, entre en opposition directe avec la conception de la « solidarité juive », du « judaïsme », qui substitue à la solidarité de classe la solidarité ethnico-religieuse.

La « solidarité juive » n’est donc pas une conception communiste. C’est une conception nationaliste bourgeoise, introduite dans le mouvement ouvrier par les opportunistes social-démocrates.

L’idée principale de l’opportunisme, disait Lénine, c’est l’union ou le rapprochement (parfois l’accord, le bloc, etc.) de la bourgeoisie et de son antipode. L’idée principale du social-nationalisme est exactement la même. La parenté, le lien et même l’identité idéologique et politique de l’opportunisme et du social-nationalisme ne font aucun doute.

Œuvres t. .XXI, p. 133 de l’édition russe.

De même que c’est au nom de « l’unité de la nation » que les nationalistes étouffent les contradictions de classe à l’intérieur de la nation et prêchent l’union des exploiteurs et des exploités, de même, c’est au nom de la « solidarité juive » que les nationalistes juifs étouffent les contradictions de classe.

La « solidarité juive » est une illusion subjective créée par le fait que, depuis la diaspora, les Juifs ont constitué partout des minorités exploitées. Staline explique dans Le marxisme et la question nationale comment se crée dans l’esprit des Juifs, en réaction contre l’oppression et contre le processus objectif de l’assimilation, la question de la garantie des droits de la minorité nationale juive.

La « solidarité juive » a en effet pour complément et corollaire immédiat le maintien de la « réalité juive » en tant que telle. La « solidarité juive » porte en son sein le spécifisme juif, le séparatisme juif, c’est-à-dire la reconnaissance des Juifs comme une réalité existant sans distinction de classe et de nation.

La « solidarité juive », avec son complément le spécifisme juif, est naturellement utilisée par la bourgeoisie à son profit. C’est ainsi que, dans un pays comme la France, où les Juifs sont fortement fondus dans la nation française, où notamment les bourgeois français d’origine juive sont totalement comparables à tous les bourgeois français, on constate avec étonnement — si on ne se réfère pas à l’analyse ci-dessus — que la grande bourgeoisie d’origine juive est la première à entretenir le particularisme juif. Déjà, en 1791, les bourgeois israélites de l’Ouest avaient lutté contre l’octroi de la nationalité française à tous les Juifs de France. De ce point de vue, il est intéressant d’étudier le rôle d’une organisation comme l’Alliance Juive Universelle, dirigée par de grands bourgeois juifs, ou le rôle des puissantes communautés consistoriales, qui maintiennent les traditions juives parmi les masses juives.

La « solidarité juive » permet en effet à la bourgeoisie française de garder sous sa coupe la masse juive, y compris les ouvriers juifs. Elle empêche en outre l’assimilation totale qui constituerait pour la bourgeoisie une véritable catastrophe en lui enlevant ce dérivatif nécessaire que constitue l’antisémitisme.

Mais la « solidarité juive » ne s’est pas contentée d’être une marchandise idéologique de la bourgeoisie. La bourgeoisie l’a introduite dans le mouvement ouvrier, avec l’aide, naturellement, de la social-démocratie.

La thèse de la « solidarité juive » appliquée au mouvement ouvrier a constitué le fondement idéologique du Bund.

Le Bund — l’Union générale des ouvriers juifs de Lithuanie, Pologne et Russie, fondée en 1897 —, bien qu’officiellement marxiste, s’appuie sur la thèse de la « solidarité juive », restreinte il est vrai aux ouvriers juifs, dans la mesure où le Bund a prétendu que tous les ouvriers juifs de l’empire russe, sans distinction de nation, devaient constituer une minorité nationale juive, analogue à la minorité ukrainienne, grand-russe ou blanc-russienne. Comme cette minorité nationale juive ne pouvait en tout état de cause — les ouvriers juifs étant disséminés dans toutes les parties du vaste empire russe — se fonder sur une base géographique, le Bund était amené à l’appuyer sur une communauté culturelle. Le Bund, prétendant que les ouvriers juifs constituaient une minorité nationale à base culturelle, était amené à revendiquer, dans son programme, la défense des droits de la minorité nationale juive, ce qu’on a appelé l’autonomie nationale-culturelle. Enfin, poussant jusqu’au bout la logique du système, le Bund était conduit à exiger une organisation séparée des ouvriers révolutionnaires juifs, et à proposer une organisation fédérative du mouvement ouvrier en Russie.

Lénine et Staline ont vigoureusement combattu les positions bundistes. Ils ont montré ce qu’il y avait d’absurde et d’illusoire dans la conception de l’autonomie nationale-culturelle, ce qu’il y avait de dangereux dans la conception d’une organisation fédérative.

Dans ses Notes critiques sur la question nationale, Lénine conclut (p. 13; Editions Sociales, 1952) :

En défendant le mot d’ordre de culture nationale, en faisant reposer sur lui tout le plan et le programme pratique de ce qu’on appelle l’autonomie culturelle-nationale, les bundistes introduisent en fait le nationalisme bourgeois dans le milieu ouvrier.

La dégénérescence du Bund en organisation antisoviétique, après la Révolution de 1917, devait justifier l’appréciation de Lénine.

***

Le « nationalisme juif » exprimé par la thèse de la « solidarité juive » et de son corollaire « le particularisme juif », s’est incarne ensuite dans le sionisme.

Le Bund était une organisation social-démocrate, chargée d’introduire dans le mouvement ouvrier les idées de la bourgeoisie. Le sionisme est ouvertement bourgeois.

Le sionisme, utilisant la vieille doctrine religieuse juive du retour en Palestine à la fin des temps, propose comme solution à la question juive la fondation d’une patrie juive en Palestine.

A travers les nuances de pensée qui distinguent les fondateurs du sionisme, Pinsker, Asker Ginzberg, Théodor Herzl, se dégage une thèse fondamentale : considérer les Juifs dispersés dans le monde comme une unité spirituelle à laquelle l’octroi d’un territoire — au départ indifférent, par la suite, en liaison avec les intérêts de l’impérialisme britannique, la Palestine — donnera la consistance d’une véritable unité nationale.

Le sionisme a donc un fondement nationaliste et raciste. Comme toute entreprise nationaliste, il détourne les Juifs de la lutte de classe.

Encore que le sionisme ne soit pas directement responsable de la fondation de l’Etat d’Israël, il constitue l’idéologie dominante en Israël.

Le bundisme et le sionisme sont des idéologies nationalistes. Comme toutes les idéologies nationalistes, elles ont surgi en des moments où le mouvement ouvrier avait subi des coups et dû se replier, affaiblissant les sentiments internationalistes du prolétariat de tous les pays.

Comme toutes les idéologies nationalistes, elles reposent sur des fondements illusoires.

Comme toutes les idéologies nationalistes, elles exacerbent la question juive au lieu de la résoudre.

Déjà Lénine avait indiqué : « L’idée d’une nationalité juive est en contradiction avec l’intérêt du prolétariat juif, puisqu’elle engendre directement et indirectement une attitude de ghetto, hostile à l’assimilation. »

Dans un article très documenté paru dans la Nouvelle Critique (février 1952), Maxime Rodinson montre comment la nation israélienne, par ailleurs née d’une spoliation colonialiste sur le dos des habitants arabes, vit de l’antisémitisme, « seuls les Juifs persécutés ou mal à l’aise dans leur pays d’origine allant s’établir en Israël ». Et il cite le professeur au Collège de France, M. Montagne, qui souligne : « Il n’est pas certain que les dirigeants sionistes n’appellent de leurs veux secrets des persécutions. Elles vaudraient à la terre d’Israël l’entrée d’un peuple innombrable de réfugiés. C’est ici que s’observe la collusion du sionisme et de l’antisémitisme. Aux Etats-Unis comme en Algérie, les adversaires des Juifs se montrent les plus disposés à encourager l’émigration en Palestine.»

Le nationalisme sioniste a créé la judéophobie dans les pays arabes. Il a développé un nationalisme juif étroit, même dans les milieux juifs qui n’étaient pas sionistes par eux-mêmes. Sur la base du sionisme se sont en effet multipliées les recherches concernant « les qualités intrinsèques » des Juifs et reprenant les élucubrations sur « le peuple élu ».

Comme tout nationalisme bourgeois, le sionisme aboutit au racisme. L’attitude odieuse du gouvernement Ben Gourion [gouvernement israélien de l’époque] à l’égard des 175.000 Arabes restés en Israël en fait foi : carte d’identité marquée d’une lettre B; Syndicats arabes persécutés; Interdiction de manuels arabes et persécution de professeurs arabes; Regroupement dans certaines villes des Arabes en ghetto; Confiscation des terres, des maisons, des biens des Arabes fugitifs, etc.

Enfin, comme tout nationalisme bourgeois, le bundisme et le sionisme ont abouti au marais du cosmopolitisme bourgeois. Le gouvernement d’Israël est entièrement entre les mains de l’impérialisme américain. Le sionisme est devenu un simple instrument idéologique entre les mains du State Department. Ce n’est plus qu’un masque pour cacher les entreprises d’espionnage contre l’Union soviétique au profit des impérialistes. C’est là la substance du procès Slansky.

***

Mais tout en réfutant énergiquement le nationalisme bourgeois, le marxisme-léninisme ne nie pas la nécessité de soutenir énergiquement et activement le mouvement de libération des peuples opprimés.

Or le peuple juif — ce terme étant entendu dans son sens de communauté ethnique — est un peuple opprimé. La Grande Encyclopédie Soviétique, éditée en 1950, a expliqué l’oppression que subissait le peuple juif en ces termes :

Antisémitisme : l’une des formes extrêmes du chauvinisme racial, engendré par la société des classes, le régime d’exploitation et se manifestant par l’hostilité envers les Juifs, la propagation de l’animosité envers eux ainsi que par des limitations juridiques, des expulsions, des persécutions et des exterminations massives. Dans les mains des classes exploiteuses dominantes, l’antisémitisme est l’un des moyens de lutte contre le mouvement révolutiomnaire.

L’antisémitisme, au moyen âge, fut l’instrument des féodaux et du clergé qui cherchaient à lancer les masses populaires contre les Juifs, afin de les détourner de la lutte révolutionnaire contre la féodalité. Ainsi s’expliquent les pogroms et les persécutions médiévales, notamment en Espagne. De là également l’émancipation des Juifs par la Révolution française : dans la mesure où l’antisémitisme était un instrument aux mains des féodaux, il était normal que la bourgeoisie française leur arrachât cet instrument en libérant les Juifs par l’octroi de la nationalité française.

L’antisémitisme, alors très affaibli, fut repris après 1848, et surtout à la fin du xix* siècle, par la bourgeoisie comme un moyen de lutte contre le mouvement ouvrier révolutionnaire.

Dans les pays de « démocratie bourgeoise », l’antisémitisme demeura, un temps encore, sporadique; s’il éclatait, par exemple, à l’occasion de l’Affaire Dreyfus, il demeurait en général latent. Par contre, l’autocratie tsariste utilisait à plein la discrimination raciale pour lutter contre l’esprit révolutionnaire des masses.

Enfin, dans la dernière période où le capitalisme parvenu au stade de l’impérialisme entre en putréfaction, l’antisémitisme connaît un extraordinaire regain. De même que la démocratie bourgeoise, jetant par-dessus bord le drapeau des libertés, doit recourir au fascisme, de même sont reniées les idées de 1789 sur la tolérance et la fraternité des races. Alors, parait Hitler, ses « élucubrations fanatiques sur l’inégalité raciale des peuples » qui aboutirent à l’extermination de plus de 2.500.000 Juifs [le chiffre utilisé à l’époque]. Après la deuxième guerre mondiale, le centre de l’impérialisme se déplace d’Allemagne aux Etats-Unis. En même temps se déplace le centre de l’antisémitisme. « L’antisémitisme, en tant que variété du racisme est utilisé par les impérialistes anglo-américains pour lutter contre la démocratie, le progrès, pour déclencher une nouvelle guerre mondiale. » {Grande Encyclopédie soviétique.) Les exemples abondent qui montrent en effet le développement inouï de la discrimination raciale, de la terreur à l’égard des Juifs, tant aux Etats-Unis qu’en Grande-Bretagne et en France.

Comment est-il possible que l’impérialisme soutienne à la fois le mouvement nationaliste juif et rantisémitisme ?

Cela est possible précisément dans la mesure où, comme il a déjà été souligné, le nationalisme juif et l’antisémitisme sont exactement complémentaires.

L’impérialisme exige à la fois le maintien du « spécifisme juif » qui justifie l’antisémitisme. Il porte en lui l’antisémitisme qui renforce le nationalisme juif. L’impérialisme gagne sur les deux tableaux : en maintenant le spécifisme juif, il prive le mouvement ouvrier de l’apport des ouvriers juifs; en soutenant l’antisémitisme, il cherche à jeter le désarroi parmi les ouvriers et à les entraîner dans des pogroms antisémites.

Les victimes de la politique impérialiste sont aussi bien les ouvriers juifs que les autres ouvriers. La bourgeoisie d’origine juive acquiesce à la duplicité impérialiste parce qu’elle en tire également les bénéfices ; protégée de l’antisémitisme par ses privilèges de classe, elle se réjouit avec toute la bourgeoisie de l’affaiblissement du mouvement ouvrier en général.

L’antisémitisme est dans la nature de l’impérialisme. Il n’y a donc pas de solution à la question de l’oppression des Juifs tant que subsistera le régime capitaliste. C’est pourquoi les Juifs qui ne sont pas directement intéressés au maintien du capitalisme doivent rejoindre les positions révolutionnaires de la classe ouvrière en lutte pour le renversement de l’impérialisme.

C’est la conscience de la nécessité du renversement du capitalisme pour la liquidation de l’antisémitisme qui explique la remarque de Lénine ; « La proportion des Juifs dans les mouvements démocratiques et prolétariens est partout supérieure à celle des Juifs dans la population en général. »

***

Le devoir des Juifs qui veulent contribuer à leur propre libération et ne pas demeurer une « tête de Turc » aux mains de l’impérialisme, est donc de se ranger aux côtés de la classe ouvrière révolutionnaire et de son parti communiste.

Mais, dès ce moment, les Juifs posent la question ; « Que fera de nous la révolution socialiste ? » A cette question. Lénine et Staline répondent très clairement.

Les maîtres du marxisme-léninisme ont établi d’abord que les Juifs ne constituent pas une nation dont ils ne possèdent pas les cinq caractéristiques indispensables.

Dans Le marxisme et la question nationale (janvier 1913), Staline écrit nettement :

Bauer parle des Juifs comme d’une nation, bien qu’ « ils n’aient pas du tout de langue commune »; mais de quelle communauté de sort et de quelle cohésion nationale peut-il être question, par exemple, chez les Juifs géorgiens, daghestanais, russes ou américains, complètement détachés les uns des autres, vivant sur des territoires différents et parlant des langues différentes ?

Et plus loin Staline précise :

Le point de vue de Bauer identifiant la nation avec le caractère national détache la nation du sol et en fait une sorte de force invisible, se suffisant à elle-même. Dès lors, ce n’est plus une nation, vivante et agissante, mais quelque chose de mystique, d’insaisissable, et d’outre-tombe.

Enfin, Staline conclut :

Bauer confond évidemment la nation, catégorie historique, avec la tribu, catégorie ethnographique.

Pourquoi les Juifs ne peuvent se conserver en tant que nation ? Staline montre comment « la raison en est, avant tout, que, parmi les Juifs il n’existe pas de large couche stable, liée à la terre, qui cimenterait naturellement la nation, non seulement comme son ossature, mais encore comme marché national ».

Sans doute d’aucuns songent à opposer à Staline, Lénine qui, dans ses Notes critiques sur la question nationale, écrit : « On peut en dire autant de la nation la plus opprimée et la plus traquée, la nation juive. » Mais, dans ce passage, Lénine parle de la nation non pas en tant que catégorie historique pleinement développée, mais au sens de minorité nationale. D’ailleurs, plus loin, Lénine écrit : « Les Juifs ne constituent pas dans le monde civilisé une nation. »

Au début du XX’ siècle, il convient en effet de distinguer les Juifs des pays de l’Est, qui, dans le cadre d’un régime autocratique, sont groupés en ghettos et constituent de puissantes minorités nationales dans un Etat multinational.

Au contraire, dans les pays occidentaux, le régime démocratique bourgeois, « civilisé » selon la formule de Lénine (comparativement au tsarisme), avait contribué à faire éclater les communautés juives et hâté leur éparpillement sur l’ensemble du territoire. En France, la guerre de 1870-71, en ébranlant profondément la communauté juive d’Alsace, devait accélérer ce processus, si bien que, nulle part, les Juifs n’étaient assez nombreux pour s’ériger en minorité nationale.

La perspective générale est donc, tant à l’Est qu’à l’Ouest, une dégradation des communautés juives. C’est ce qui fait dire à Staline « qu’une telle situation sape l’existence des Juifs en tant que nation, les fait entrer dans la voie de l’assimilation ».

***

Puisqu’il est objectivement impossible aux Juifs de se constituer en nation, puisqu’à aucun moment ne sont réunis les indices nécessaires à la formation d’une nation, la libération des Juifs, dans le cadre d’un renversement du capitalisme, ne prendra pas la forme d’une libération nationale. La libération des Juifs prendra la forme de l’assimilation.

Qu’est-ce que l’assimilation ? « La perte des particularités nationales et le passage dans une autre nation. » (Lénine, op. cit.). L’assimilation est donc le fait pour les Juifs de reconnaître le pays où ils vivent comme leur patrie. On comprend pourquoi les Juifs ne peuvent totalement s’assimiler en régime capitaliste. La bourgeoisie ne peut donner aux Juifs une patrie, puisqu’elle a elle-même renié la patrie, trahi l’indépendance nationale, et rejoint des positions cosmopolites.

Mais la thèse léniniste sur l’assimilation des Juifs est violemment combattue par les nationalistes juifs. Lénine dit que l’assimilation constitue un « épouvantail nationaliste ».

Les nationalistes, pour stigmatiser la perspective de l’assimilation, s’appuient sur le fait naturellement odieux que des lâches, au moment des persécutions, reniaient leurs frères, leurs traditions et leurs coutumes, « s’assimilaient », c’est-à-dire se masquaient pour sauver leur vie. Il est clair que l’assimilation dont parle Lénine n’a rien de commun avec l’entreprise de sauvetage individuel au prix, souvent, de la trahison. Mais le fond de l’opposition des nationalistes à l’assimilation est le refus par eux d’abandonner « la culture juive », le « judaïsme », le « particularisme juif ».

Lénine a montré avec force que l’aspect progressif, internationaliste, de la culture juive ne serait pas perdu. Chaque culture nationale comporte deux cultures. Il s’agit, « pour les Juifs marxistes qui se fondent dans des organisations marxistes internationales avec les ouvriers russes, lithuaniens, ukrainiens, d’apporter leur obole (en russe et en juif) à la création de la culture internationale du mouvement ouvrier ».

Et Staline confirme : « Comment peut-on affirmer sérieusement que les rites religieux ossifiés et les vestiges psychologiques qui s’évanouissent influent sur le sort des Juifs mentionnés avec plus de force que le milieu vivant, social, économique et culturel qui les entoure. »

C’est pourquoi, dit enfin Lénine, « celui qui n’a pas sombré dans les préjugés nationalistes ne peut pas ne pas voir dans ce processus d’assimilation… un immense progrès historique ».

Il est évident que le processus d’assimilation ne sera pas fixé par la contrainte et la violence. Les marxistes « condamnent la moindre violence nationale, oppression, inégalité en droit ».

***

L’analyse des positions théoriques et marxistes-léninistes concernant la question juive doit aider au combat actuel pour mettre en pièces la calomnie d’un antisémitisme en Union Soviétique. Là, comme ailleurs, il y a deux lignes.

La ligne impérialiste qui, en escamotant la différenciation des Juifs en classes antagonistes par l’appel à la « solidarité juive », suscite à la fois l’antisémitisme et le nationalisme bourgeois juif, l’un et l’autre aidant la besogne politique, idéologique et pratique de préparation à la guerre.

La ligne socialiste, qui, en soulignant la différenciation des Juifs en classes antagonistes, par l’appel à la lutte, aux côtés de la classe ouvrière contre l’impérialisme et ses succédanés, l’antisémitisme et le sionisme, aide au renforcement des forces de paix et à la libération totale des Juifs, par leur assimilation dans la nation où ils vivent.

Il revient aux organisations du parti d’en faire la démonstration dans la classe ouvrière et devant les travailleurs d’origine juive. Il revient aux organisations qui ont la charge de populariser parmi les travailleurs d’origine juive les idées de paix et de démocratie, de combattre les idées nationalistes et cosmopolites du judaïsme et du sionisme et de promouvoir les idées internationalistes et démocratiques de lutte antiimpérialiste et d’assimilation nationale.

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